Blogue 2010-09-26
J’ai 54 ans, je suis une artiste—musique, art plastique, écriture—et j’enseigne dans une petite université, dans l’est du Québec. On sursaute toujours lorsque j’ajoute que je n’enseigne pas dans un département d’art, mais de psychosociologie. Ça mérite quelques explications en effet, mais on aura le temps d’en reparler.
Je fais de l’art pour voir (plutôt que pour exprimer quelque chose), comme une entreprise visionnaire—un peu dans le sens de l’idée du poète voyant de Rimbaud. Pour moi, la pratique de l’art est une forme de quête de vision. Pratiquement tout ce que je sais sur l’invisible, sur la dimension intérieure, sur moi-même, toute la richesse de mon esprit, est construit sur ce que j’ai expérimenté et vécu dans mon atelier. Mes œuvres matérielles n’ont pas d’importance pour moi, je ne sais pas si elles sont belles ou habiles, je ne me demande pas si elles plairaient à un public. Elles ne sont que les produits de cette quête. C’est la vision qui m’importe et celle-ci en vient à ouvrir sur une dimension de révélation, de nature spirituelle (comment la nommer autrement, de fait?)… Je fais de la philosophie par l’art, comme il semble que les alchimistes en faisaient par leur laboratoire : j’apprends et je vois en travaillant la matière, les sons, les formes.
Il y a une dizaine d’années, j’ai commencé à m’intéresser à l’aspect méta de cette quête : j’ai entrepris une vaste « étude de pratique » et j’ai posé les questions épistémologiques et philosophiques de cette sorte de connaissance particulière—car il m’a semblé que ce que j’apprenais sur le monde et sur moi dans mes expériences créatrices était particulier, en effet. Ce qui est différent, c’est que la vision dans l’atelier (comme chez l’alchimiste) n’est pas basée sur la rupture entre l’esprit et la matière, mais plutôt sur leur interpénétration, sur le fait qu’ils sont simplement deux états d’être dans un même univers.
La pensée unique est une calamité – que ce soit la Doctrine de la Foi ou la Doctrine de la Science, c’est pareil. Le positivisme scientifique, qui consacre une rupture ontologique (la plus définitive qui soit) entre les choses de l’esprit et le monde matériel, est dans une véritable phase de décadence. Le monde intellectuel est rempli de pensées alternatives—certaines ridicules, évidemment, mais plusieurs très solides sur le plan philosophique— et pourtant, on continue à croire que l’esprit (autant mind que spirit – une distinction que le français ne fait pas) ne fait pas partie de l’univers. Du coup, la destinée humaine semble absurde, ni la vie ni l’univers n’ont de sens, l’éthique n’a pas de véritable fondement, la médecine ne guérit rien (elle ne fait qu’alléger les symptômes… ou les transformer). Et malgré tout cela, on n’a pas le droit de questionner cet a priori positiviste? Si je puis me permettre, il n’y a aucune preuve scientifique du positivisme : dans mon atelier d’artiste, il y a plein de manifestations du contraire, en fait.
La séparation entre l’esprit et la matière est aussi à la base de la séparation entre la science et l’art : les choses sont soit d’un côté, soit de l’autre. La rigueur et la connaissance sont d’un côté, l’intuition et la créativité de l’autre. La Vérité et l’utilité d’un côté, le Sens et la passion de l’autre. La science ne peut rien ressentir et l’art ne peut rien connaître. Tout ce qui se situait entre les deux a été discrédité : l’alchimie (ma source à ce sujet est beaucoup Françoise Bonardel, Philosophie de l’alchimie, PUF, 1993), la pensée jungienne, l’homéopathie…
Je suis en train de lire le Red Book, de Jung. Et L’art comme expérience de John Dewey. J’ai aussi beaucoup lu Gregory Bateson. Je vous en reparle.
Finalement le soleil est sorti ce matin, après deux jours de temps froid, gris et venteux. En lisant Dewey, hier, il y avait ces vers de Woodsworth « … the wind and sleety rain, And all the business of the elements” C’est exactement ce que je voyais par la fenêtre. Je vis dans un pays froid, on a même eu du gel cette nuit.
Au Goddard College, où j’ai travaillé jusqu’en 2008, on a eu une étudiante, Sung Sook Setton. Venue de Corée et arrivée à New York via l’Angleterre, elle a étudié la peinture en Chine et en Corée. Je vous suggère d’aller voir son travail…