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Miserere (2) – Le monde meilleur

« Le discours ambiant, que j’appelle le « panmédicalisme » et qui tend à faire de la santé la valeur suprême, pas seulement un bien désirable, est un contre-sens sur la vie. Et si la santé devient la valeur suprême, alors la médecine devient la chose la plus importante : le « panmédicalisme » délègue aux médecins non seulement la gestion de nos maladies mais la gestion de nos vies, de nos sociétés, ce qui est inquiétant. » André Comte-Sponville

Depuis les débuts de la pandémie, les gens relisent La peste (une collègue à moi, Myriam Watthee, en a d’ailleurs fait un commentaire fort intéressant). On le sait, Camus, qui écrit son roman à la sortie de la 2e guerre, avait en tête une épidémie d’un tout autre genre : il pensait au nazisme – et comment des idées et des affects toxiques peuvent se répandre tel un virus. Aujourd’hui, avec l’Internet, on aperçoit mieux que jamais ce genre de contagion : idéologies, préjugés, fausses nouvelles, colère… Et au premier chef, la peur.

Les gens ont peur et demandent à être « pris en charge ». « Prendre en charge »…  une expression désormais répandue à travers tous les services de santé et de police. Chaque fois que je l’entends, quelque chose de viscéral en moi résiste. Je crains la pente sur laquelle elle nous entraine. Et la dystopie à laquelle cette pente (si on continue à la descendre) aboutirait.

Aldous Huxley, 1927 (Painting by John Collier (1850-1934), The Graphic (British newspaper). 7 May 1927. Public Domain

Alors de mon côté, ce que je relis, c’est Le meilleur des mondes, écrit par Aldous Huxley en 1931. Un jeune homme né dans une communauté marginale et appelé « le Sauvage » tout au long du roman, vient visiter le monde civilisé. Ce monde a supprimé toute forme de souffrance par une série de moyens technologiques et d’ingénierie sociale. Les gens prennent une dose quotidienne d’une molécule appelée soma, qui les rend doucement heureux. Les femmes ne sont plus enceintes, les enfants sont produits en laboratoire. Dès l’enfance, les gens sont soumis à différentes formes de conditionnements. Lorsqu’ils approchent de la mort, ils sont plongés chimiquement dans un état euphorique et s’en vont doucement, ne se rendant compte de rien. Leur départ ne cause de chagrin à personne, car plus personne n’a la faculté du chagrin. Les gens sont programmés génétiquement pour appartenir à une caste correspondante aux services qu’on attendra d’eux – comme ça, ils ne seront pas malheureux de leur sort dans l’échelle sociale. Dans ce monde, les sentiments et la morale n’ont plus de raison d’être – et sont, d’ailleurs, jugés trop dangereux pour la société.


À la fin du chapitre XVII, il y a cette scène extraordinaire. On arrive à la fin du roman, le Sauvage est en conversation avec l’un des dix Administrateurs mondiaux, Mustapha Menier. L’Administrateur, sélectionné in vitro pour appartenir au groupe le plus intelligent et occuper ce poste, n’a pas été conditionné comme les autres habitants. Il a eu accès à l’histoire, à la science, à la littérature et à la religion, mais il s’est investi de la difficile mission du « bonheur des autres », comme il dit. Tous les deux discutent librement des choix contrôlants de la civilisation au nom de la stabilité et du réalisme. À la fin, citant Shakespeare, le Sauvage évoque le hasard, le danger et la mort :

— N’est-ce pas quelque chose, cela? demanda-t-il, levant le regard sur Mustapha Menier. Même en faisant totalement abstraction de Dieu, et pourtant Dieu en constituerait, bien entendu, une raison. N’est-ce pas quelque chose, que de vivre dangereusement?

— Je crois bien, que c’est quelque chose ! répondit l’Administrateur.

Et là, il va expliquer à son jeune interlocuteur qu’une fois par mois, ils font vivre aux gens une sorte de tempête chimique surrénale, un « S. P. V. ». Car, effectivement, il est bon pour la santé de vivre des émotions négatives fortes. Le Sauvage n’est pas sûr de comprendre :

— S. P. V.?

— Succédané de Passion Violente. Régulièrement, une fois par mois, nous irriguons tout l’organisme avec un flot d’adrénaline. C’est l’équivalent physiologique complet de la peur et de la colère. Tous les effets toniques que produit le meurtre de Desdémone et le fait d’être tuée par Othello, sans aucun des désagréments.

— Mais cela me plait, les désagréments.

— Pas à nous, dit l’Administrateur — Nous préférons faire les choses en plein confort.

— Mais je n’en veux pas, du confort. Je veux Dieu, je veux de la poésie, je veux du danger véritable, je veux de la liberté, je veux de la bonté. Je veux du péché.

— En somme, dit Mustapha Menier, vous réclamez le droit d’être malheureux.

— Eh bien, soit, dit le Sauvage d’un ton de défi, je réclame le droit d’être malheureux.

— Sans parler du droit de vieillir, de devenir laid et impotent; du droit d’avoir la syphilis et le cancer; du droit d’avoir trop peu à manger; du droit d’avoir des poux; du droit de vivre dans l’appréhension constante de ce qui pourra se produire demain; du droit d’attraper la typhoïde; du droit d’être torturé par des douleurs indicibles de toutes sortes.

                  Il y eut un long silence.

— Je les réclame tous, dit enfin le Sauvage.

                  Mustapha Menier haussa les épaules.

— On vous les offre de grand cœur, dit-il.


C’était une de mes lectures d’adolescence, avec Crime et châtiment (Dostoïevski), Le pavillon des cancéreux (Soljénitsyne) et le glaçant 1984 (Orwell)… Alors que 1984, lui aussi une terrible dystopie, approchait davantage la réalité du monde communiste (rappelons-nous l’Europe de l’Est à l’époque, et le KGB de l’URSS), Le meilleur des mondes évoque mieux le genre de totalitarisme d’un état capitaliste : contrôler les gens par l’excès de sécurité et de confort.

Adulte, je n’ai jamais relu ce livre. J’en avais oublié de très larges pans, mais la scène que je vous ai racontée m’est toujours restée en mémoire. J’y ai souvent repensé, je l’ai souvent citée… C’est pour dire à quel point elle a été structurante pour moi, tant moralement que politiquement.

Nous n’en sommes pas là, évidemment. La molécule du bonheur n’existe pas encore, celle qui euphoriserait l’agonie non plus. Mais avouez que ça vous intéresse… que c’est tentant ! Si elles étaient disponibles, ces molécules seraient vite ajoutées à l’arsenal pharmaceutique – sur prescription, évidemment. Mais dès ce moment-là, la ligne entre la demande du patient et l’obligation pour tous deviendra très mince, comme elle l’est maintenant pour la vaccination. Il suffira d’en faire une affaire de « bien commun » – après tout, la souffrance et les difficultés des personnes coûtent cher à la collectivité.

L’autre jour, un homme, professeur de philo, posait cette question dans la section Libre Opinion du Devoir : « Devrais-je défier l’ordre de confinement pour accompagner mon père? » Un texte déchirant et d’autant plus que le choix – tant moral qu’affectif – implique de choisir entre le bien d’une personne (son père) et une conception médicale, scientifique, du bien commun. Comme le dit Marie de Hennezel, « la liberté de refuser un traitement ou de préférer voir sa famille plutôt qu’être protégé n’est pas entendue ». 

Le bien commun, comme toutes les questions sociales et humaines, est une question large, profonde et complexe. Ce bien commun demande d’équilibrer, entre autres, les impératifs écologiques, économiques, culturels et de santé avec les principes de justice, de liberté, de générosité et de développement de soi. Pour toutes ses qualités par ailleurs, la médecine ne peut pas aborder une question aussi large, avec sa vision en tunnels (ce qui définit « être expert »), qui ne voit que ce qu’elle cherche : des microbes, des symptômes, des cellules, des molécules. Côté collectif, elle ne sait penser qu’en statistiques. Elle n’a rien à nous dire sur le sens de la vie, ou sur le choix à faire entre la qualité de la vie ou sa simple préservation. Pour elle, souffrir ne sert à rien. L’amour d’un fils pour son père, l’amitié, le care, sont des extras. La force morale, la dimension spirituelle et autoformatrice des épreuves, ce n’est pas son domaine. Sa seule réponse au chagrin est une trousse chimique, sa seule réponse à la souffrance physique est l’analgésie. Sa seule solution à un virus est un vaccin. La vision en tunnels fait certes partie de la rigueur scientifique. Mais il ne faut pas reconduire cette vision à la collectivité, ne pas faire ce que Comte-Sponville appelle le « panmédicalisme ».

« Il faut trouver un juste rapport entre la folie hygiéniste et la dimension humaine », dit Marie de Hennezel.

À mesure des avancées scientifiques et technologiques, ce juste rapport sera de plus en plus difficile à trouver. Mais le panmédicalisme et le pouvoir à la science et à la Santé publique sont des réponses aussi faciles que tragiques.

Miserere … ou l’abolition du monde

Piéta

Par Christophe.Finot — Travail personnel, CC BY-SA 2.5, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4332847

Un peu plus tôt cette semaine, je racontais à mon amie Martine l’histoire mythique du Miserere d’Allegri, une pièce vocale composée dans les années 1630 par Gregorio Allegri, alors simple chanteur dans le chœur de la chapelle Sixtine. Pendant 140 ans, ce Miserere d’une immense et classique beauté a été chanté exclusivement dans cette chapelle les mercredi et vendredi de la Semaine sainte. On racontait qu’il était interdit de le chanter ailleurs, sous peine d’excommunication. Mais voilà qu’au cours de la Semaine sainte de 1770, en visite au Vatican avec son père, un jeune Mozart de 14 ans a eu la chance de l’entendre. Le soir même, il le recopiait de mémoire. À partir de ce moment, l’interdit s’est brisé et son exécution s’est répandue dans toutes les cours et les églises d’Europe.

Pourquoi est-ce que je vous raconte ça aujourd’hui, en ce temps étrange de la pandémie?

Parce qu’aujourd’hui, c’est Vendredi saint et qu’il m’arrive souvent d’écouter ce Miserere pendant la Semaine sainte. Chaque fois je suis quand même consciente que mon expérience n’est qu’un infime écho de ce que Wolfgang et Leopold ont pu vivre à Rome, le matin du 11 avril 1770. Cette musique dans les écouteurs et moi dans le fauteuil du salon, ce n’est pas comme être en personne dans la chapelle et l’entendre chantée par le chœur. On est d’accord. Mais voilà qu’aujourd’hui, j’ai soudainement réalisé que c’est toute ma vie que je dois vivre comme j’écoute ce Miserere – c’est-à-dire virtuellement, comme un « infime écho » de la réalité possible. Sur le web, on peut visiter des musées, des sites naturels, des cathédrales, des coins de rue en temps réels dans des villes de l’autre côté de la Terre, même des zoos et des aquariums… On peut voir du théâtre ou de la danse live. Et la chapelle Sixtine, d’ailleurs. Mais nous n’y sommes pas réellement, nous n’en sommes que spectateurs, que témoins. Si c’est pour remplacer la réalité – même celle, très ordinaire, de mes journées habituelles –, je préfère mourir! Je ne suis pas qu’une interface entre le monde et les idées que je m’en fais, je suis une personne, reliée de partout. Je suis un nexus dans la toile du monde – je ne suis pas isolable. Je suis à peine confinable.

Il ne faut pas penser que le monde est à l’extérieur et qu’une séparation est possible entre lui et nous. Le monde est tout autant intérieur… Mon intériorité, à laquelle je suis maintenant confinée, souffre de ce confinement, souffre d’avoir perdu ses lieux d’actualisation. Ce n’est pas vrai qu’on peut réduire le monde au seul trajet « essentiel » entre chez moi, le supermarché et la pharmacie. Ces services dont les autorités ont décrété qu’ils étaient essentiels ne sont essentiels qu’à leur plan d’action. Ce ne sont pas ceux qui nous sont essentiels, à nous, pour vivre. Comment peut-on dire que les lieux publics ne sont pas essentiels? Comment peut-on trouver acceptable de laisser couler le resto coréen, le centre-jardin, le salon de coiffure, la librairie… Tant pis, quoi ! Les gens vivront leur vie sur leur écran – suivront leurs cours de yoga et leurs séances de thérapie, l’école pour les jeunes, la messe de Pâques et les réunions AA, verront des spectacles, des expos, etc., sur leurs écrans.

Oh, je vois bien que le monde extérieur est toujours là. Et moi, je suis toujours ici. Mais mon lien avec le monde est sous respirateur artificiel. Je continue à travailler, depuis chez moi, mais mon lien avec mes étudiants et mes collègues est sous assistance respiratoire. Mon lien avec mes amies est sous respirateur. Nous allons évidemment continuer à nous aimer, à nous parler, à nous ennuyer les unes des autres, à nous voir par skype, à nous donner des nouvelles, mais nous ne ferons que nous raconter ce que nous avons fait séparément. Vous ne goûterez pas à mes nouveaux muffins (en fait, je n’en ferai même pas, à quoi bon?), je ne vous prêterai pas le livre dont je vous ai parlé sur zoom, je ne saurai même pas quels pantalons ou quelles godasses vous portez (ou si même vous en portez !)… Vous ne m’aiderez pas avec mon projet de menuiserie – en fait, je ne réaliserai même pas ce projet, si je n’ai personne pour m’aider. Nous ne nous toucherons plus et bientôt, nous n’aurons plus rien à nous raconter.

*

En entendant mon histoire sur le Miserere, Martine a fait remarquer, avec son humour si caractéristique, que les catholiques se sont toujours réservé des œuvres d’art et des objets précieux à intégrer dans l’hocus pocus si caractéristique de leurs liturgies et lieux de culte (costumes, formules d’incantation, utilisation du latin, cloches, encens, et cetera). Elle a vraiment dit « hocus pocus », chère Martine…

C’est effectivement ce qui distingue le catholicisme du protestantisme – dont la Réforme rejetait notamment toutes ces médiations esthétiques et artistiques pour se centrer sur la Parole et la réflexion personnelle, installant un rapport à Dieu sans intermédiaires. Pour les protestants, aucune image, aucun geste ne sont nécessaires pour vivre le spirituel. Dans le catholicisme, la communion est réelle, le geste de la consécration est performatif – c’est, oui, une sorte de magie incantatoire. Mais pour les Protestants, ces gestes consécrateurs ne sont que simples rappels symboliques d’une idée religieuse. Dans le catholicisme, les églises, les chants, l’encens, les vêtements sacerdotaux, les vitraux, sont les médiateurs nécessaires de l’expérience spirituelle… Dans le protestantisme, à part un intérêt esthétique propice à générer l’émotion, rien de cela n’est essentiel.

De là à voir la religion catholique comme une version archaïque du christianisme et le protestantisme comme une manifestation plus moderne – et conséquemment plus évoluée –, il n’y a qu’un pas (un pas que plusieurs auteurs ont franchi, d’ailleurs). Et c’est ce pas qui a fait du monde une abstraction, permettant qu’autant l’économie que la pandémie se décrivent en colonnes de chiffres et en courbes exponentielles. C’est ce pas qui a fait qu’aplatir le monde ou aplatir une courbe, c’est du même ordre. C’est aussi ce pas qui nous permet de croire que la santé physique (au sens de « ne pas attraper la maladie en question ») est plus réelle et donc plus importante que la santé mentale – et que tant qu’à y être, le monde peut tout aussi bien être virtuel : pourquoi avoir tant besoin d’y vivre?… ses images suffisent.

Au final, que penser d’un plan de santé qui considère que visiter les malades et veiller les mourants n’est pas un soin essentiel? Parce que ça n’ajoute rien, médicalement? Que penser, alors, de la définition de « médicalement » implicite dans cette position?

Allez, je m’arrête. Ça rend fou.

À la défense de mes amis homéopathes

Encore une fois, les journalistes de Radio-Canada sont tombés à bras raccourcis sur l’homéopathie. Régulièrement, à Enquête, La facture, ou Les grands reportages, ils font un reportage « choc » pour dénoncer l’inefficacité de cette pratique.

Un jour, au hasard d’amies communes et d’un party de Noël, j’ai rencontré une des journalistes d’Enquête et lui ai demandé pourquoi ils s’acharnaient tant sur les homéopathes… Elle m’a répondu, sans trop de conviction il m’a semblé, « il faut protéger le public »… Mais de quoi, donc? On ne cesse de répéter que les remèdes homéopathiques ne contiennent que du sucre et que leur effet n’est que placebo. En plus, les produits sont bon marché – personne ne s’enrichit, ici. Il n’y a ni fraude, ni corruption, ni crime, ni mort, ni lésion… Déception, tout au plus, pour les personnes chez qui le produit n’a pas marché. Ce n’est rien, comparé au cas de cette dame, par exemple, emportée par la grippe en 24 heures, alors que – l’article le précise – elle s’était pourtant fait vacciner. Où est ce danger si important?

Les pharmacies sont remplies de produits en vente libre qui sont pratiquement sans effet : produits anti-âge, fortifiants, pour nettoyer le foie, purifier le sang, contre la toux, la tendinite, les problèmes articulaires, etc… Il y a un grand nombre de médicaments approuvés dont les seuils reconnus d’efficacité ne dépassent pas les 40% – c’est-à-dire autour du seuil d’efficacité qu’on accorde aux placebos. Pourtant, on ne s’en formalise pas. On laisse faire les gens, on fait confiance à leur jugement. Alors pourquoi s’en prendre au produit homéopathique? Si ça se trouve, c’est le moins nocif des produits en pharmacie. Je trouve ça louche.

Homeopathic remedies. Photo: Ottawa College of Homeopathy

En fait, l’homéopathie dérange parce qu’elle repose sur une science, une histoire et une philosophie qui contredisent le consensus médical et relativisent les principes de la méthode scientifique. Si on admettait un jour l’efficacité de l’homéopathie, ce sont les fondements même de la biologie et de la recherche scientifique dans sa forme actuelle qu’il faudrait requestionner. Ça serait une catastrophe épistémologique – avant d’être aussi financière.

*

Dans ma fratrie, il y a trois médecins (incluant mon frère décédé) et une pharmacienne. Mais parmi mes amis et amies, je compte sept homéopathes – dont trois sont aussi médecins, une a un doctorat en sociologie; une autre, pharmacienne diplômée, a exercé quelque temps avant de se consacrer à l’homéopathie. Et moi, j’écoute tout le monde avec la même amitié, la même intelligence et le même intérêt.

Il y a environ deux ans, à la suite d’une grippe, j’ai continué de tousser pendant plusieurs mois. Quand j’ai commencé à cracher du sang, je suis évidemment allée voir le médecin. J’ai passé trois radiographies, deux TACO, une bronchoscopie (un examen invasif et douloureux), plusieurs analyses de laboratoire et deux tests des capacités pulmonaires, pour que finalement le pneumologue me diagnostique une affection chronique des bronches. Il ne m’a prescrit aucun médicament car il n’y a pas de traitement pour cette affection : seulement la prudence, comme de prendre des antibiotiques si on a la grippe, histoire de limiter les causes de toux. Quelques mois plus tard, je suis retournée le voir pour un contrôle : je n’avais plus rien, je ne toussais plus. Il m’a regardée l’air songeur pendant quelques secondes, mais il n’a rien dit. A-t-il pensé qu’il s’était peut-être trompé de diagnostic? Je ne sais pas. Je ne lui ai pas dit que j’avais été soignée en homéopathie. Personne ne veut entendre ces histoires – ces « anecdotes » pourtant innombrables.

Avec l’homéopathie, on est loin de l’apothicaire de quartier qui bidouille un remède-miracle dans son arrière-boutique. Les homéopathes sont des gens cultivés, diplômés, et éduqués scientifiquement. En Europe, où l’homéopathie existe depuis plus de 200 ans, plusieurs médecins sont aussi homéopathes. Traditionnellement, tous les homéopathes européens étaient aussi médecins, en fait. En Grande-Bretagne, on estime que six millions de personnes consultent en homéopathie – c’est-à-dire qu’ils préfèrent payer pour voir un homéopathe plutôt que de profiter d’un système de santé officiel gratuit (voir le documentaire Just One Drop). On pratique l’homéopathie sur tous les continents actuellement. En Inde, il y a plus de 200 collèges d’homéopathie accrédités par le gouvernement.

Nos journalistes ne font jamais de recherche sur l’homéopathie – sinon, ils trouveraient une longue histoire, une méthodologie rigoureuse, des praticiens nombreux et sérieux, une immense bibliographie, dont des matières médicales très fouillées et un nombre incalculable d’articles savants et d’études scientifiques. Prévenons qu’ils trouveraient aussi des idées scientifiques qui mettent nombre de « sceptiques professionnels » en apoplexie. Les journalistes de Radio-Canada ne font pas de recherche car ils endossent la doxa qui dit que seule l’opinion médicale officielle est valable : inutile, donc, de consulter qui que ce soit d’autre. On a dit, dans l’émission de la semaine dernière, que « aucune étude scientifique reconnue ne cautionne l’efficacité de l’homéopathie ». Portez attention à l’adjectif « reconnue »… car il existe, de fait, un grand nombre d’études sur l’homéopathie, toutes études rejetées au prétexte que « le produit ne contient rien d’autre que du sucre et du lactose », cette formule-choc qu’on ne cesse de répéter et qui est, en fin de compte, le seul argument contre toute l’approche homéopathique.

C’est vrai, le remède homéopathique n’est pas de nature chimique ou biochimique comme les médicaments habituels. Il est d’une nature qu’on ne comprend pas encore : est-ce électromagnétique? Quantique? Psychoïde? De l’ordre de l’information? Cette question nous amène effectivement sur une terra incognita de la science actuelle (car on ne peut quand même pas raisonnablement imaginer qu’il ne reste plus de territoires inexplorés, inconnus, insoupçonnés). Le jour où on découvrira le principe qui est à la base de la dilution homéopathique, ce sera une révolution en biologie et en médecine. Cette révolution ne réhabilitera pas seulement l’homéopathie, mais ouvrira la porte à des découvertes inouïes en médecine et des champs immenses de nouvelles connaissances… Pourquoi pas? Il y a eu plusieurs révolutions paradigmatiques en science : rappelons l’ouvrage classique de l’historien des sciences Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, qui nous permet de comprendre qu’une telle révolution n’est pas seulement possible, elle est probable. Sauf si, comme maintenant, on empêche tout effort de recherche et de réflexion sur le sujet et qu’on isole dans un brouillard d’opprobre ceux qui se penchent sur le problème.

La vraie science sait douter, elle sait hésiter, elle sait laisser ouverts des dossiers qu’elle ne comprend pas ou si elle soupçonne qu’il lui manque des éléments. Avant de découvrir la théorie quantique, on avait laissé ouvert le dossier de la nature de la lumière pendant des décennies. Les scientifiques de l’époque ont su vivre avec cette dissonance et accepter de travailler avec des théories qui se contredisaient mutuellement et des résultats expérimentaux inexplicables par la théorie classique alors en vigueur. Leur patience a été récompensée quand la puissante théorie des quanta est venue expliquer et réconcilier l’ensemble des observations. L’homéopathie est un tel dossier : on ne comprend pas comment opère le remède à dilution infinitésimale mais nous sommes nombreux à observer ses effets. En science, ceci s’appelle une anomalie et indique qu’il faut chercher une théorie unificatrice. Actuellement, on empêche cette recherche de se faire en lynchant ce mystère sur la place publique, et en le relynchant encore et encore, car on a beau dénoncer l’existence de ces granules de sucre, l’homéopathie reste toujours vivante. La seule raison étant, bien sûr, son efficacité.

Je salue mes amies et amis homéopathes qui persistent dans l’adversité et je célèbre leur génie.

Un an plus tard…

Je n’ai jamais voulu arrêter d’écrire… J’avais trouvé un rythme qui convenait à mes obligations universitaires, je publiais ici environ aux deux mois, et peu à peu, j’avais de plus en plus de lecteurs. Je n’ai jamais eu particulièrement d’ambition de ce côté, de toute façon; je ne m’attends pas à multiplier les « likes ». Mais j’aime ce médium, c’est plutôt ça. J’aime écrire, comme ça, à la ronde, sans comité de lecture et pour publication immédiate.

Mais je n’ai rien écrit depuis octobre l’année dernière… Treize mois maintenant. En réalité, c’est plutôt en novembre que j’ai arrêté d’écrire sur ce blog: c’est la catastrophe américaine qui m’a laissée littéralement sans voix.

J’étais tellement en colère que je ne pouvais rien écrire de raisonnable ou de décent. Et je n’étais pas en colère contre les gens de droite ou populistes, ou contre ceux qui ont voté pour lui, mais contre nous, les gens de gauche. Oui, nous! Car je pensais qu’on y était pour beaucoup. Je le pense encore. Je pense que cette catastrophe est en grande partie of our own making, comme disent les Anglais. Bon, ça fait un an, maintenant, et je n’ai plus l’élan de déplier mon argumentaire pour dire pourquoi c’est ce que je crois. D’autres (ici la sociologue Dominique Meda et ici Boucar Diouf) l’ont bien expliqué, de toute façon.

Je n’étais pas seulement en colère. Je suis aussi restée longtemps sidérée, incapable de penser à autre chose, presque paniquée. J’essayais de chasser de mon esprit les images d’interventions armées, de catastrophes écologiques, de crises économiques, et toutes les formes d’injustices et de répression qui menaçaient de se produire… Sans compter ma plus grande peur à vie: un régime de plus en plus totalitaire. Et puis cette impression que plus jamais le monde ne serait le même, ou même qu’il serait quelque chose qu’on pourrait qualifier de « normal ». Je me sentais intoxiquée, comme si j’avais ingéré un poison ou une drogue. Et je voyais bien, aussi, que plein de gens autour de moi vivaient la même chose. J’ai des amis sur Facebook qui, encore aujourd’hui, un an plus tard, partagent des articles du New York Times, du Washington Post et de bien d’autres média moins recommandables, pratiquement tous les jours. Ce qui signifie qu’ils y pensent à tous les jours. C’est comme un état altéré.

Au début de septembre cet automne, j’ai commencé à rédiger un article, intitulé provisoirement « Dix mois plus tard » – je voulais écrire exactement ce que je suis en train d’écrire aujourd’hui. Mais j’ai vite réalisé que j’avais encore beaucoup trop de colère… tout ce que j’écrivais tournait autour de ça. Alors j’ai attendu encore. Aujourd’hui ça va mieux.

Donc je pense que je peux reprendre ce blog. Je suis allée en Bretagne en octobre, pour un colloque fort intéressant sur lequel j’aurais envie d’écrire. Je vais le faire bientôt.